Deux vies pour le prix d’une

Ce livre est le témoignage autobiographique, autocritique, anecdotique, humoristique, parfois poignant mais toujours plein d’autodérision de la vie d’un hippy indomptable (ou qui aurait aimé l’être) qui, comme tant d’autres, après l’Afrique, l’Amérique centrale ou l’Inde, la vie en autarcie,…

Greffes sauvages

Chapitre 1
Till força le verrou d’un vigoureux coup de pied-de-biche et ouvrit le couvercle de la malle.
Deux glacières souples bleues, soigneusement scellées par des colliers de serrage en plastique, s’offrirent à sa vue, pourvues d’une étiquette.
Till ajusta ses lunettes, se pencha.
Déchiffra.
Sa vue se brouilla.
Son cœur s’arrêta.
Il ne s’était pas attendu à ça !

Chapitre 3
Till ouvrit un œil, puis deux. L’obscurité régnait dans la pièce. Juste un mince rai de lumière, tout en bas de son champ de vision. Il avait mal à la tête, derrière le crâne plus précisément.
Ses jambes lui faisaient mal, la droite pliée à l’équerre derrière son postérieur, la gauche bizarrement tendue, comme s’il avait voulu shooter dans un ballon. Sa main gauche enserrait mollement son cou, l’air de vouloir retenir un cri.
Il se souvenait vaguement d’un vague cauchemar, d’une vague vision, d’un vague truc étrange qui l’avait fait sombrer dans l’inconscience. On l’avait assommé ? Il s’était violemment heurté la tête à quelque chose ? La bosse qui le martyrisait au contact du sol parlait en faveur de l’une de ces hypothèses. Il réalisa que c’était son bras droit qui lui barrait la vue. Ou qui protégeait son visage d’un danger. D’une nouvelle agression ?
Il était terrorisé à l’idée de ne plus se souvenir de rien, pas même de l’endroit où il était. Il avait subi un choc violent, c’était sûr. Pourquoi, quand et où ? Et surtout qui ? Impossible de remettre un semblant d’ordre dans ses idées. Il tendit l’oreille… pas un bruit. Il tenta de percevoir un semblant d’embryon de vie autour de lui… rien.
Le vide sidéral, le silence abyssal.
Il esquissa un mouvement timide, craintif. Pour ne pas attirer sur lui l’attention d’un mauvais esprit qui attendait qu’il reprenne les siens pour s’en prendre à lui. Pas de réactions !
Une image s’esquissa devant ses yeux, une image qui peinait à s’affirmer. Une image qu’il empêchait plutôt de se concrétiser dans son esprit. Qui émergea malgré tout.
Il comprit soudain. Il se souvint. Il n’était pas seul dans la pièce.
Ils étaient deux. Enfin… presque.

Il vous faudra vivre avec…

Il vous faudra vivre avec, la couverture

C’est alors seulement qu’il réalisa qu’on l’avait suivi. Depuis Eguilles, depuis chez lui. Sa maison. Il en fut terrorisé, anéanti. On le surveillait, on le filait, on le menaçait, on l’encerclait, on…, pensait-il en boucle.
– Putain, mais c’est qui ce « on » ? hurla-t-il en tambourinant comme un sourd sur le volant.
Il se figea soudain dans son hystérie.
– Je suis con ou quoi ? marmonna-t-il les yeux hagards. Tu es complètement à la masse, mon pauvre Mathis. Tu piques ta crise comme un gros bébé, il est mignon le gros bébé qui pique sa crise, mais il est complètement con, le gros bébé qui pique sa crise, mais qu’il réfléchisse un peu nom de Dieu de nom de Dieu ! Pendant qu’on te surveille ici…

Le détecteur de mouchards. Il aurait dû l’acheter. Des images s’imposèrent devant ses yeux, la maison, isolée, le bus scolaire, qui s’éloigne, sa fille à l’intersection de la départementale, seule, les cinq cents mètres à pied jusqu’à la maison, longs, les taillis, touffus. Les taillis, non, non, pas les taillis, cours Rose, cours, les taillis ! Un homme en surgit, une main enserre son cou, l’autre plaquée sur sa bouche. Molosse qui ne se rend compte de rien de la maison. Cet imbécile qui se dore au soleil, ah non, il n’y a pas de soleil, raison de plus idiot ! Cavale, cavale, nom d’une pipe, cavale au secours de ta maîtresse…

Il sentit comme un gros caillou au fond de sa gorge et son ventre fut parcouru de convulsions.

Contact, moteur, action ! Clignotant, crissement de pneus, hurlement du moteur, rapport supérieur. Feu rouge. Ça commençait bien !
– Tu vas passer au vert, merde ! hurla-t-il au feu.
Sa jambe tremblait sur l’accélérateur, tentée de mettre les gaz.

Mathis se réjouissait toujours d’apercevoir au loin la mairie d’Eguilles, un château du XVIIè siècle bien entretenu qui dominait la campagne provençale sans toutefois parvenir à faire de l’ombre au massif de la Sainte-Victoire, depuis toujours le motif préféré des peintres. Mais cette fois, ni la beauté de la mairie ni celle de l’église Saint-Julien, ni la perspective de retrouver les petites rues, les placettes ou le lavoir du village ne parviendraient à la mettre en joie.

Il titillait la pédale d’accélérateur tout à son angoisse d’arriver trop tard !

Il aperçut les gyrophares de la gendarmerie en arrivant à l’intersection de la départementale. Chez lui. Il sentit son cœur reflué dans l’estomac, un horrible frisson glacial parcourut son échine et pointa directement sur son anus qui menaçait de lâcher.
– Merde, merde, merde, merde, merde. Mais c’est pas vrai, dis, c’est pas vrai ! Mais c’est quoi ce binz ? Y’a pas les flics chez moi, hein ? C’est trop grave. Mais tu te bouges, putain de bagnole. Magne-toi, j’te dis ! hurlait-il en écrasant l’accélérateur.
Des larmes inondaient son visage, les dents serrées, les ailes du nez douloureuses, l’air qui refusait de rentrer dans sa poitrine. Cinq cents mètres. Il allait crever avant.
Dans son délirium, il ne remarqua même pas qu’il avait franchi l’entrée de la propriété. Les gendarmes lui faisaient des signes désespérés. Il écrasa la pédale de frein, la voiture partit en crabe et finit sa course contre une borne. Pas trop de mal. On s’en fout.
– Putain de ceinture, mais tu vas t’ouvrir ! Rose ! Camille ! Camiiiille ! Rooooose ! Mais elle va s’ouvrir cette ceinture…
La porte du côté passager s’ouvrit de l’extérieur. Un gendarme le fixait d’un regard qui se serait voulu apaisant. Gendarmes, drames, Camille, Rose… pas vraiment apaisant.