Reportage Zack numéro spécial « Ils ne jouent pas à la guerre »
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Pas de vacances cet été, parce que nous attendons un bébé ! Mais un beau bébé tout neuf, c´est bien plus chouette que des vacances. Pour tuer le temps avant la naissance de notre petite Anouk, j´ai ressorti mon vieil album de photos et je me suis mis à rêver en regardant celles de mes « vacances » au Nicaragua. Vous venez avec moi ? Alors bienvenue à bord du Boeing 747 de l´Aeroflot qui fait route vers Managua, la capitale du Nicaragua.Drôles de « vacances » ! Car n´ayant pas un sou, j´avais décidé de partir au Nicaragua faire un reportage pour un journal allemand. Il y avait malheureusement la guerre dans ce petit pays d´Amérique Centrale. Les enfants, même les plus sages, adorent jouer à la guerre. On fait semblant de se tirer dessus et de mourir, puis on fait la paix devant un verre de limonade. Mais la guerre, la vraie, celle qui tue « pour de vrai » et qui est triste, c´est l´affaire des grands. Alors laissons la guerre aux grands et visitons un peu le pays.Quand on atterrit à Managua, on voit des immeubles détruits. Ce n´est pas à cause de la guerre mais à cause du tremblement de terre de 1972. Et comme les nicaraguayens, les pauvres du moins, n´ont pas d´argent pour reconstruire, ils vivent dans de pauvres cabannes de tôle. Il fait chaud, au moins 35° C, et nous ne sommes pas encore arrivés, car je vais à Matagalpa, à 250 km au nord, en bus. Je vous en prie, Señor, montez. Non, non, pas dans le bus ! Sur le toit, svp, avec les bagages et les poules. Désolé, le bus est plein, et vu le prix du voyage, à peine 1 FF, vous n´allez pas faire la tête. Attention au départ !
Au bout d´un heure, le bus s´arrête dans un village et nous sommes aussitôt entourés de vendeurs qui proposent des cigarettes, des montres, des lunettes de soleil, des journaux ou des boissons.
– Chico, un zumo de naranja, por favor, dis-je à un petit garçon.
Le petit garçon me tend mon jus d´orange directement… dans un sac en plastique fermé par un noeud ! Et comment je vais boire, moi ? Le gamin éclate de rire, porte un sac à sa bouche, fait un trou dans un coin d´un grand coup de dents et le « tète » de bon coeur.
– Pour fermer le sac, pincez le trou avec les doigts, me dit-il moqueur.
Il suffisait d´y penser. Coup de klaxon, on repart.
Le vieux bus cahote sur la route le long d´un volcan, traverse des champs de coton et de café, grimpe des collines en soufflant… Trois coups de klaxon : encore un tunnel ! Le dernier avant Matagalpa. Attention aux têtes, tout le monde à plat ventre !Ouf, je suis arrivé, ou presque. La plantation de café où je vais habiter se trouve dans les montagnes, à 35 km au nord. Il n´y a pas de bus pour y aller, et, le sac sur le dos, je traverse la ville en demandant mon chemin aux passants. C´est beau Matagalpa. Beau mais pauvre. Une belle église blanche mais des trottoirs défoncés et les égouts n´ont pas toujours de couvercle. Je tombe sur un barrage militaire à la sortie de Matagalpa : c´est le début de la zone de guerre et je dois montrer mon laisser-passer.- En marchant bien, vous mettrez sept heures, me dit un soldat. Mais passez la nuit dans un camp militaire. On ne sait jamais.
La piste est mauvaise et il n´y a pas de voitures pour me prendre en stop. Je marche sous le soleil, entouré par les mouches qu´attire l´odeur de ma sueur. J´entends soudain un drôle de bruit derrière moi et je me cache dans les buissons. « On ne sait jamais, » a dit le militaire. Chic, un véhicule. Je fais signe pour l´arrêter.
– Je peux vous emmener jusqu´au prochain camp militaire, dit le conducteur en fouettant ses boeufs pour les faire repartir.
Beau char, mais pas très rapide. Ça laisse le temps de discuter et ça m´évite de mouiller mes chaussures en traversant le ruisseau. En tout cas, les mouches me laissent en paix : les boeufs sentent meilleur, ou plus mauvais, que moi.
Les soldats ont installé leur camp au milieu d´une plantation de café. Ils m´expliquent la guerre et montrent fièrement leurs mitraillettes quand je fais des photos. Ils m´invitent à manger et un soldat me tend une tortilla, une galette de maïs, couverte de haricots rouges. J´ai l´air idiot avec ma tortilla dans les mains. Je mange ça comment, moi ? Le soldat rigole, roule en cornet sa tortilla, comme un cornet de glace, mais brûlant, le remplit avec les haricots et mord dedans à belles dents. La vaisselle est décidément vite faite, et incassable, au Nicaragua ! Je suis surpris de ne pas avoir de café au petit-déjeûner.
– Le Nicaragua vend son café pour acheter des armes, me dit un soldat.
On ne peut pas boire de café au Nicaragua ? C´est comme si un esquimeau n´avait pas de glaçons pour son coca ! Je me brûle les doigts en roulant en cornet ma tortilla, celle du petit-déjeûner, puis je repars à pied sur la piste.
Entre les arbres, j´aperçois parfois de petites cases de bois avec beaucoup d´enfants. Les nicas m´arrêtent pour discuter et l´heure du repas a sonné quand j´arrive enfin à la plantation. Et c´est sans me brûler les doigts, cette fois, que je roule en cornet ma tortilla, celle du soir. J´en mangerai au moins deux fois par jour pendant les trois mois que je passerai au Nicaragua.Au bout de deux mois, je quitte la plantation. J´ai parcouru les montagnes avec les soldats, discuté avec les médecins dans les hôpitaux et vu beaucoup de choses pénibles. J´ai de quoi écrire mon article et je décide de faire un peu de tourisme loin du front.
Bluefields ! Il faut absolument aller à Bluefields, sur la côte des Caraïbes. Je reprends donc mes pieds, puis mon char à boeufs et le bus bondé, retourne à Managua, attends deux jours un bus qui ne vient qu´au troisième jour, et me voilà parti vers Rama, dans le centre du pays. Cette fois, je trouve une place à l´intérieur du bus, coincé contre une barre et un pied dans un grand vase d´argile qu´un indien n´a pas réussi à vendre à Managua. Il fait nuit quand je rentre dans l´auberge de Rama, mais il y a l´électricité ! Dommage, car les murs des chambres ne montent pas jusqu´au plafond et une ampoule éclaire plusieurs pièces. Mes voisins bavardent et la lumière brille toute la nuit. Peut-être qu´on ne peut parler le nicaraguayen dans le noir, après tout ?
De Rama, il faut prendre le bateau pour aller à Bluefields. Pas rassurant, le bateau ! Il y a une mitrailleuse sur le toit de la cabine car il est parfois attaqué en descendant le fleuve, le Rio Escondido, jusqu´aux Caraïbes. Nous arrivons dans la soirée à Bluefields, et, assis dans un petit restaurant, je décide aussitôt de rester ici pour toujours. C´est magnifique. Imaginez des cabannes de bois sur pilotis au-dessus de la mer et beaucoup de noirs, d´anciens esclaves, qui prennent la vie avec le sourire. Mais quand le serveur apporte le repas, mon estomac décide que je rentrerai quand même en Europe : les tortillas aux haricots rouges me poursuivent jusqu´ici !
Et c´est ainsi qu´une semaine plus tard, en mangeant la dernière et la meilleure tortilla de cet inoubliable voyage, je dis adieu à Bluefields et au Nicaragua. Il ne me reste qu´à écrire mon article que les lecteurs liront, les petits veinards, en buvant leur café du petit-déjeûner et… sans tortilla.