HISTOIRE DE L’HISTOIRE
La porte de la taverne s’ouvrit en grinçant légèrement. Une
silhouette masculine, haute et fine, se détacha dans son
encadrement. L’homme marqua un temps d’arrêt, puis s’avança à
pas lents vers une table dans un angle de la pièce. Il s’arrêta à
quelques mètres de la table et observa la scène. Deux hommes,
assis l’un en face de l’autre, contemplaient en silence leurs verres
vides.
L’homme sourit en reconnaissant la silhouette massive de son ami
Jean, l´illustrateur dont les lecteurs de BD appréciaient tant les
dessins animaliers. Didier, perdu dans un pull trois fois trop grand
pour lui, suivait avec intérêt les évolutions d´une serveuse.
- Eh bien, Didier, tu cherches l´inspiration dans le décolleté des
brunes, maintenant ? le taquina Gaston. C´est bien ce qu´il me
semblait, ton imagination baisse. Je redoute que d´ici peu tu ne
sois même plus capable de nous écrire la première lettre du
premier mot de la première ligne du premier paragraphe du
prochain livre. - Très drôle, mon cher Gaston, rétorqua Didier. Procès-verbal
pour insolence caractérisée. Pourrais-je relever le nom des
témoins, nous disions donc :
Jean : illustrateur,
Gaston : éditeur, et
Didier : auteur. - Mais, que se passe-t-il ? s´étonna Aline qui pénétrait dans la
pièce en poussant Germain, son assistant, devant elle. - Il ne manquait plus que vous, répondit Didier. Vous arrivez à
point pour compléter ma liste :
Aline : speakerine à Radio Luxembourg, et
Germain : technicien du son. - Mais quelle liste ? insista Aline.
- La liste des héros de mon prochain livre, répondit Didier avec le
plus grand sérieux. Alors, Gaston, pari tenu : je l´écris et tu le
publies ?
Il était fort tard quand le petit groupe sortit de la taverne et
l’ambiance était à l’euphorie. - Alors, on se le fait ce rallye ? lança Jean en montant dans sa de
Dion Bouton de 1898. - Chiche ! répondit Didier.
- Pas cap ! gamina Aline.
- Okay…, hoqueta Germain.
Quant à Gaston, il jura, mais un peu tard, qu´on ne l´y reprendrait
plus.
Toute ressemblance avec des personnes existantes
n´est que le fruit de ton imagination débordante !